L'existence est inacceptable. En achetant du pain, en souriant à la boulangère, je cautionne un système qui assassine et qui torture : la société, ce monstre, notre enfant, dont nous sommes responsables.
Ma révolte elle-même est suspecte : soit elle ne débouche sur rien, elle devient un échec, soit elle agit, elle devient un morceau de ce système. Je n'ai pourtant qu'elle pour rester éveillé, conscient de ma condition.
Elle doit donc se rejeter elle-même pour être acceptable. Cent ans après les copains pacifistes, elle me montre qu'il n'y aura jamais de paix pour la conscience humaine.
Cette relation à l'existence crée des usages pour l'art. D'abord l'art peut nous changer les idées. Cette mission peut sembler triviale. Pourtant, face à la religion, l'art divertit sans proposer de solution toute faite, il ne me voile pas la face.
Il y a la Catharsis. Mais en fait la catharsis est un outil de l'ordre social, qui purge des passions autres que ma révolte. Je lui reconnais une utilité. Mais elle ne m'intéresse pas. Comme personne, je n'y vois qu'un gain de confort.
Mais surtout, je crois qu'il y a un endroit secret à l'intérieur du conte, où, porté.e.s par le personnage, on peut confusément accepter que la vie soit. Je ne sais pas comment le dire mieux ; si ce n'est pas ma propre survie, si c'est pour que cette autre existence, fictionnelle, qui me touche, existe, alors oui, dans un frisson, mes réserves tombent, et pour un instant, la trêve commence.